Une meilleure prise en compte des facteurs organisationnels et humains dans la prévention
Dans les années 70-80, la sécurité industrielle a d’abord reposé sur la fiabilité technique des installations et sur la formalisation des systèmes de management de la sécurité. Ces deux aspects de la prévention permettent aux industriels d’augmenter considérablement leurs performances sécurité, et ce jusqu’aux années 2000 qui marquent une période de stagnation. Emerge alors un troisième pilier des politiques de prévention : les facteurs organisationnels et humains (FOH) de la sécurité.
| Les 3 piliers de la sécurité |
La prévention des accidents industriels a d’abord reposé sur la conception technique permettant de mieux préserver l’intégrité des installations dans des situations inhabituelles. Les accidents de Seveso (1976) et Three Mile Island (1979) ont donné lieu à un renforcement des exigences réglementaires (directive Seveso 1 en 1982), et à la mise en place de politiques de sécurité globales dans les grandes entreprises à risque. Ce formalisme s’est renforcé avec la directive Seveso 2 (1996), et la mise en place des systèmes de management de la sécurité.
Ces actions techniques et d’organisation ont entraîné dans certains secteurs une diminution continue des accidents liés au process. Mais dans les années 2000, cette amélioration marquait un palier dans beaucoup d’entreprises.
Observe alors un certain consensus dans l’industrie sur la nécessité de prendre en compte un troisième pilier de la culture de sécurité, au-delà de la technique et de l’organisation formelle : les facteurs organisationnels et humains (FOH), c’est-à-dire les facteurs qui conditionnent une activité humaine efficiente et sûre.
L'approche FOH agit sur 4 dimensions :
- L'organisation et le management
- Les collectifs de travail
- Les situations de travail
- Les individus
| Les FOH : un changement de regard sur la contribution des individus à la sécurité |
Longtemps considéré comme pouvant être source d’erreur ou de comportement inadapté, avec l'approche FOH, l’opérateur de terrain devient un acteur majeur de l’amélioration de la sécurité dans l’entreprise. Au-delà du seul respect des règles et des procédures, son implication est désormais recherchée. On évite de plus en plus d’attribuer les comportements observés uniquement aux individus, un raisonnement qui trouvait rapidement ses limites en matière de prévention. L’approche FOH vise au contraire à comprendre quelles sont les caractéristiques des contextes de travail et de l’organisation qui influencent positivement ou négativement le rapport des salariés à la sécurité.
La prise en compte de ces facteurs a conduit à des transformations majeures ces 20 dernières années dans la façon de concevoir les postes de travail, les procédures et leur usage, la formation et le maintien des compétences, les relations au sein des équipes et avec l’encadrement, la remontée et le traitement des alertes, la politique de reconnaissance/sanction, etc. Des pratiques de fiabilisation de l’activité telles que la préparation du travail, les briefings, la vigilance partagée, ou le recours à des check-lists ont été instaurées, le port d’équipements de protection a été ritualisé.
| Une mobilisation générale sur les FOH |
Si ce virage avait déjà été enclenché dans certaines industries à hauts risques (aérien, nucléaire), il se généralise peu à peu à partir des années 2000 à d’autres secteurs industriels français et de nombreuses initiatives voient le jour. Ainsi les groupes de travail se multiplient sur le sujet que ce soit à travers :
- des associations dédiées à la sécurité (ex. : groupes de travail de l’IMDR, groupe d’échange de l’Icsi),
- d’autorités de contrôle (ex : le Comité d'orientation sur les facteurs sociaux organisationnels et humains (COFSOH) de l’ASN),
- de fédérations professionnelles (ex. France Chimie)
- ou d’organisations syndicales (ex. : le groupe « risques majeurs » de la CFDT).
De même, si la littérature en sciences humaines et sociales était déjà conséquente sur le lien entre l’humain et la sécurité, de nombreux guides ou états de l’art à vocation de transfert dans l’industrie sont publiés.
| A lire |
- Le cahier de la Foncsi : Les facteurs humains et organisationnels de la sécurité industrielle : un état de l’art
- Guide l'Ineris : Sécurité industrielle : comment intégrer les facteurs organisationnels et humains dans la prévention des risques technologiques ? (2014)
- Rapport de l'IRSN : Les facteurs organisationnels et humains de la gestion des risques : idées reçues, idées déçues (2011)
Désormais, rares sont les programmes de formation à la sécurité qui n’intègrent pas les FOH ou qui n’impliquent pas le management en vue de développer son leadership en sécurité. De même, de plus en plus de directions HSE intègrent – au moins au niveau central - des compétences en FOH soit en faisant appel à des ergonomes ou sociologues, soit en formant de façon approfondie des cadres issus des filières sécurité ou des opérations. Certains grands groupes créent même des services pérennes dédiés à l’animation des FOH (EDF, GRTgaz, SNCF, TotalEnergies).
| Mais la dynamique FOH reste fragile dans les entreprises |
La dynamique de la prise en compte des FOH s’est incontestablement accélérée dans l’industrie ces 20 dernières années mais cette évolution reste fragile. Elle est par exemple encore très dépendante de l’engagement de quelques dirigeants dont le renouvellement des postes est régulier. Les acquis dans le domaine venant principalement des sciences humaines encore peu intégrées aux formations d’ingénieurs, il est parfois difficile de transformer les idées en outils opérationnels ou de démontrer les apports de l’approche FOH à travers des résultats ou indicateurs quantitatifs et objectifs.
Enfin, cette approche reste encore trop souvent cantonnée au niveau des situations de travail et des gestes professionnels, focalisée sur les opérateurs de première ligne et leurs comportements. Elle peine encore à s’intégrer à des décisions plus stratégiques et organisationnelles.