Sous-traitance et sécurité : les enjeux d’une meilleure coopération entre donneurs d’ordres et sous-traitants
AZF, Lubrizol… la sous-traitance est souvent questionnée lors d’accidents industriels. Dans les esprits, externaliser une activité industrielle est signe de dégradation de la sécurité. Est-ce vraiment le cas ? Tout n’est pas tout blanc ou tout noir, il existe des bonnes pratiques pour parvenir à construire une culture de sécurité partagée entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Mais des contradictions persistent. A long terme, le principe même de sous-traitance devra être repensé pour s’adapter au futur modèle des entreprises.
Les 3 grands types de sous-traitance
- La sous-traitance de spécialité : on ne dispose pas de la compétence nécessaire à la réalisation en interne de l’activité
- La sous-traitance de capacité (conjoncturelle, structurelle) : on dispose de la compétence mais – momentanément ou en permanence - pas de toute la capacité nécessaire à la réalisation de l’activité
- La sous-traitance de stratégie industrielle : on ne souhaite pas (ou plus) pour diverses raisons (de productivité, de compétitivité, de flexibilité, de risque) réaliser en propre l’activité.
| La sous-traitance : du positif et du négatif |
L’impact de la sous-traitance sur la sécurité est une vraie question, sur laquelle ont été menées de nombreuses études ces 20 dernières années. Elles ont montré qu’il n’existe pas d’impact à sens unique de la sous-traitance sur la sécurité, qu’elle a des apports aussi bien positifs que négatifs sur la sécurité.
Dans les effets positifs de la sous-traitance sur la sécurité, on peut citer :
- la haute qualification, l’expertise sur la technologie et ses risques
- la formalisation et l’exécution plus rigoureuses des tâches (contrats, procédures, règles, etc.)
- la meilleure adaptation des ressources aux besoins.
Certains domaines comme l’off-shore ont de bonnes performances de sécurité avec des niveaux très élevés de sous-traitance, y compris en cascade pouvant atteindre jusqu’à sept niveaux.
- de fortes contraintes sur les conditions de formation, de travail et de rémunération des opérateurs
- une perte d’attrait, des difficultés de recrutement, une carence en compétences
- une exposition de l’intervenant prestataire à une relation de double influence, à des injonctions contradictoires
- etc.
| Donneurs d’ordres et sous-traitants : vers une culture de sécurité partagée |
Il existe des voies de progrès pour compenser les effets négatifs de la sous-traitance sur la sécurité, comme notamment la coopération et le partage des systèmes de management de la sécurité entre le donneur d’ordres et le prestataire :
- alignement des indicateurs de performance,
- intégration par le donneur d’ordres des résultats de sécurité de ses prestataires dans ses propres résultats,
- partage des outils de signalement,
- analyse commune des évènements, etc.
L’objectif est de développer une culture de sécurité commune entre le donneur d’ordres et le sous-traitant.
| Des contradictions subsistent |
On sous-traite parfois pour obtenir des prestataires un équilibre entre qualité, prix, flexibilité, sécurité qu’on ne peut pas atteindre soi-même. Et ce, en exigeant le maximum sur tous les registres sans tenir compte des nécessaires arbitrages et de la réalité du quotidien. Cela génère des injonctions en réalité impossibles à satisfaire.
Au rang des contradictions existantes :
- L’organisation et la logistique des processus ne sont pas toujours adaptées aux réalités de l’activité sous-traitée et des profils du sous-traitant
- L’attribution fréquente de différentes composantes d’activité ou maillons d’une chaîne de production à divers sous-traitants augmente la fragmentation, multiplie les interfaces et les exigences de coordination
- Il peut exister une certaine « cacophonie opérationnelle » liée à la co-activité avec de multiples acteurs en présence
- Les managers de proximité du sous-traitant sont sur-sollicités par de multiples injonctions
- Une forte surveillance formelle de la part du donneur d’ordres peut induire un relatif "silence organisationnel" sur l’activité réelle du prestataire et les niveaux de stress induits chez lui par les exigences contractuelles .
| Repenser l’approche de la sous-traitance ? |
A plus long terme, il convient de replacer la sous-traitance dans les grandes tendances d’évolution de la chaîne de production de valeur. Nous vivons depuis quelques décennies des transformations profondes, rapides, et qui s’accélèrent : en particulier la redistribution mondiale de la chaîne de production de valeur, avec le transfert de nombreuses activités productives industrielles vers les pays à faible coût de main d’œuvre.
Ce transfert peut prendre la forme de la sous-traitance, mais également bien d’autres formes, comme l’achat de composantes, l’abandon pur et simple de l’activité, ou la création de filiales étrangères.
Un autre aspect est la transformation des entreprises : on assiste à une fragmentation multiforme. Ce n’est plus l’entreprise qui change de périmètre en sous-traitant une partie de son activité, mais c’est la notion même de frontière de l’entreprise qui change. La sous-traitance peut s’inscrire dans ce mouvement en passant d’une notion « d’abandon d’activité » à une notion de « construction de partenariat » dans une chaîne de production de valeur intégrée, un écosystème productif.
Ceci suggère immédiatement des horizons de temps plus longs, avec une recherche de pérennité, pour inscrire la sous-traitance dans la durée avec notamment une vision à long terme de l’évolution des métiers, une solidarité vis-à-vis de la survie des partenaires, une intégration des processus opérationnels, un apprentissage partagé. Ceci impliquera sans doute également de repenser la distribution des responsabilités entre acteurs de l’industrie, ainsi que la structure du dispositif de surveillance par les autorités, et le rôle des organismes de normalisation.