La résilience organisationnelle, une issue pour affronter les crises à venir ?
Il existe une seule certitude : la prochaine crise d’ampleur sera (elle aussi) inattendue. Prédire le prochain scénario n’est donc pas l’enjeu majeur de l’industrie. Il s’agit en revanche de « se préparer à ne pas être préparé » et de savoir agir et prendre des décisions en situations d’incertitude. En d’autres termes, il faudra construire des organisations résilientes : des organisations capables d’affronter les imprévus et les aléas, tout comme les grands bouleversements de la société. Mais comment faire ? Quels sont les grands principes et les leviers de la résilience des organisations ? Et l’industrie est-elle prête à sauter le pas ?
| Peut-on se préparer à la prochaine crise ? |
On peut bien évidemment faire des hypothèses sur la nature de la prochaine crise : les risques émergents, le changement climatique, la pénurie de certaines ressources, les flux migratoires, le basculement des rapports de force au niveau géopolitique… Nous vivons une période de transformations et de changements gigantesques.
Mais la prochaine crise sera forcément inattendue. Autrement dit, ce sera un scénario que l’on n’aura pas imaginé, voire inimaginable, ou pour lequel on ne se sera pas (ou pas suffisamment) préparé. Finalement, l’enjeu est certainement de « se préparer à ne pas être préparé ». Et sur ce sujet, la recherche scientifique - et notamment le courant « Resilience Engineering » - fournit matière à réflexion pour construire des organisations résilientes.
| Qu’est-ce que la résilience organisationnelle ? |
Avec la crise de la Covid-19, le mot résilience a envahi la sphère médiatique. Dans une Tribune publiée en 2020, Jean Pariès, directeur scientifique Icsi-Foncsi, qualifiait même la pandémie comme une « extraordinaire illustration, un véritable laboratoire pédagogique de la notion intuitive mais complexe de résilience ».
Alors, qu’est-ce que cette notion recouvre ? Dans le domaine de la sécurité industrielle, la « résilience organisationnelle » désigne la capacité des organisations à survivre, à encaisser les chocs et les aléas. Construire une organisation résiliente, c’est donc concevoir un système robuste, fiable et sûr face à l’imprévu.
Ce n’est pas dans le talent des gestionnaires de crise que la résilience réside, mais dans la conception du système.
Jean Pariès, directeur scientifique Icsi-Foncsi
| Quels sont les leviers de la résilience ? |
Levier 1 : Analyser les activités courantes & les compensations
L’incertitude et les aléas ne sont pas l’apanage des crises : cela fait en réalité partie du quotidien normal des entreprises. Les crises font seulement un « effet loupe » et rendent visible ce phénomène. Il existe ainsi un « bruit de fond » permanent - des perturbations, des imprévus, de l’incertitude – compensé et absorbé au quotidien.
Ce sont ces compensations « ordinaires » qu’il est fondamental d’analyser lorsque l’on veut construire une organisation résiliente. L’objectif ? Identifier le moment où les mécanismes de compensation atteignent leurs limites. Si l’entreprise n’est plus en capacité d’absorber les aléas, elle est en risque de décompensation. Et c’est là que peuvent survenir les accidents.
Levier 2 : Créer et piloter des marges
Pour éviter la saturation des mécanismes de compensation, il est donc essentiel de créer et de piloter des marges. Ces marges permettent d’absorber, de compenser les imprévus au quotidien.
Dans ce cas de figure, le plus grand ennemi de la résilience est la suroptimisation du travail. Plus on est en limite de ses capacités, moins il y a de marges pour faire face aux aléas. Un système résilient est donc au contraire, un système qui a des caractéristiques de non-optimisation, qui dispose d’un réservoir de ressources (humaines, matérielles), qui fonctionne en régime de croisière au lieu d’être « à flux tendu ».
On touche ici à la stratégie d’entreprise et à l’organisation du travail, et il est nécessaire d’avoir un véritable engagement en ce sens au plus haut niveau de l’organisation.
Levier 3 : Générer du lien social, du sens partagé et développer la fierté d’appartenance à l’entreprise
La cohésion d’équipe, la fierté d’appartenance à l’entreprise, le sens au travail sont des conditions nécessaires à la résilience. Elles constituent un socle identitaire qui permet aux salariés de mobiliser les ressources et l’énergie nécessaires pour traverser des périodes de turbulence.
Il est ainsi primordial de :
- préserver l’humain au travail et de créer les conditions de travail favorables au bien-être et à la performance
- s’assurer que les salariés adhèrent et partagent les valeurs, objectifs et missions de l’entreprise
- travailler sur la reconnaissance et la motivation au travail
- impliquer l’ensemble des salariés dans les grands projets structurants.
Levier 4 : Favoriser la diversité
Comme dirait le proverbe : « il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier ». En cas de situation perturbée, plus une entreprise multiplie les tentatives de résolution de problèmes… plus elle à des chances de réussir ! La diversité – des ressources, des projets - est ainsi un allié précieux.
Levier 5 : Développer l’expertise et l’expérience
Faire face à l’imprévu implique de savoir réagir dans le cas de situations qui n’ont pas été anticipées ou procéduralisées. Il est alors essentiel de miser sur l’expertise et sur l’expérience des salariés ou en d’autres termes sur la sécurité gérée.
Par les exercices, les simulations, les formations pratiques, les entreprises peuvent entrainer leurs équipes opérationnelles et leurs manager à réagir face à l’inconnu et à prendre des décisions en situation d’incertitude.
Il est fondamental de reconnaître les limites de nos anticipations, prévisions, modélisations, cartographies des risques et algorithmes. Il faut maintenir ou introduire des principes de précaution dans notre gestion des risques et se poser la question de ce qui se passe en dehors des limites du domaine de conception. Car même très rares, les excursions en dehors de ces limites sont souvent totalement catastrophiques.
Jean Pariès, directeur scientifique Icsi-Foncsi - webinaire du 8 avril 2021
L’industrie n’est pas à l’abri d’une nouvelle « surprise fondamentale », d’un nouveau scénario totalement inattendu. Et c’est à l’épreuve de ce nouveau scénario que l’on saura véritablement si nous avons conçu des organisations résilientes, ou non.
| L’adaptation des organisations lors de la crise Covid : un exemple de résilience ?|
Nous l’avons vu, l’industrie française s’est plutôt bien adaptée et réussi à s’adapter pour maintenir un haut niveau de sécurité pendant cette période de turbulences.
Pour autant, les organisations ont activé des leviers classiques (Plan de continuité d’activité, centralisation des décisions, etc.) et n’ont pas été contraintes de revoir en profondeur leurs modes de gestion de la sécurité ou leurs modes de gouvernance.
Pourquoi ?
- Le soutien financier de l’Etat en particulier a permis à de nombreux secteurs d’activité de tenir le choc, de retarder ou d’éviter des décisions difficiles
- La crise Covid a une dynamique particulière : elle est lente, elle dure dans le temps, ce qui favorise l’efficacité de la centralisation des décisions.
Il est important de comprendre qu’avoir dépassé la crise Covid ne signifie pas que l’industrie est prête à affronter une crise soudaine et hors-norme. Et c’est bien pour cela qu’il est peut-être nécessaire de réinterroger nos systèmes de gestion de la sécurité : aller vers davantage de résilience, accepter l’imprévisibilité pour mieux y faire face.
DOSSIER - La crise de la Covid-19 : un révélateur et accélérateur de changements pour la gestion des risques
PARTIE 1 : L'industrie face à la crise de la Covid-19
- #1. Adapter les organisations pour maintenir un haut niveau de sécurité dans l’industrie
- #2. Les nouveaux enjeux du management pendant la crise
- #3. Décider dans l'incertain, comment faire ?
PARTIE 2 : Comment se préparer aux prochaines crises ?