Gestion de crise : l’indispensable redistribution des rôles

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Gestion de crise : l’indispensable redistribution des rôles Gestion de crise : l’indispensable redistribution des rôles

 

Industriels, Etat, collectivités, secours… qui fait quoi dans la gestion de crise ? Qui intervient, qui communique ? Et quelle place pour les réseaux sociaux ? Les récents accidents ont montré des limites dans la coordination des acteurs, partons explorer de nouvelles stratégies…

Cet article est issu des échanges de la table ronde « Alerte des populations et gestion de crise », organisée par l'Icsi et la métropole Rouen Normandie, lors du Forum de la résilience en octobre 2021, entre :

  • Alban Bruneau, président d’AMARIS (Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs) et maire de Gonfreville l’Orcher
  • Xavier Longuet, directeur de la formation au sein du Gesip, groupe d’études de sécurité des industries pétrolières
  • Eric Collard, président de Visov, association des volontaires numériques en gestion d’urgence
  • Yves Hocde, sous-directeur de la préparation, de l'anticipation et de la gestion des crises à la DGSCGC (Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises), ministère de l’Intérieur

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L’articulation des acteurs dans la gestion de crise est aujourd’hui définie dans la loi. La Direction des Opérations de Secours (DOS), qui diffuse l’alerte auprès des citoyens et dirige les secours, est assurée par :

  • Le maire, si l’événement est circonscrit au niveau de la commune et ne dépasse pas les moyens communaux,
  • Le préfet, si l'événement concerne plusieurs communes ou qu'il dépasse les capacités d'une commune, lors de l'activation formelle d'un dispositif ORSEC ou encore en cas de carence d'action du maire face à un événement (article L2215-1 du code général des collectivités territoriales).

Dans les faits, les conséquences d’un accident industriel se limitant rarement à une commune, c’est le plus souvent le préfet qui revêt cette fonction. Mais le maire reste en responsabilité pour assumer les missions de sauvegarde auprès de sa population (soutien, hébergement, ravitaillement...).

Et bien d’autres acteurs sont mobilisés au sein de cette chaîne complexe en cas de crise : l’industriel où le sinistre s’est produit, les Services d’Incendie et de Secours, la gendarmerie, les pompiers, le SAMU, les associations… et un petit nouveau qui se fait remarquer depuis quelques années : les réseaux sociaux. Enfin, last but not least, les citoyens bien sûr.

 

L’industriel : alerte des services de l’Etat et gestion du sinistre sur place

L’industriel est le premier acteur confronté à la catastrophe. Pour gérer le jour J, il se prépare en temps de paix : plans d’urgence, cellule de crise, outils d’anticipation avec des fiches réflexe par exemple, outils de situations tactiques et de manœuvres…  Pour être bien préparé, l’industriel doit mettre en place un fonctionnement cyclique de la cellule de crise, avec des exercices répétés, chaque semaine ou chaque mois, pour générer des automatismes.

En cas d’accident, l’industriel doit immédiatement alerter les autorités compétentes : services de l’État, DREAL, préfecture et secours publics pour organiser très rapidement les opérations d’intervention. Il doit également gérer sur le terrain le sinistre dont il est à l’origine, mettre en place les moyens nécessaires, travailler avec les secours publics.

A la question « n’est-ce pas frustrant de rester en retrait pour les industriels, à gérer le back office sans pouvoir communiquer directement avec la population et en devant passer par l’Etat ? », Xavier Longuet, du Gesip, répond : « L’industriel a déjà un panel de communications très important avec de multiples acteurs, qui sont les services de l’État, sa propre communication interne vis-à-vis de ses salariés, de son siège. Il ne serait pas en mesure de pouvoir gérer l’ensemble de la population et des collectivités, ça serait trop difficile. »

 

L’élu local : un maillon important à renforcer

Les récents accidents montrent les limites de l’organisation de la coordination des acteurs, aujourd’hui centralisée au niveau des préfectures. AMARIS  défend l’idée de mieux associer les élus locaux : ils connaissent leur territoire et peuvent organiser la mise en œuvre concrète des plans de protection des populations, prévenir rapidement les écoles, les équipements sportifs et culturels... Connus de leurs concitoyens, les élus locaux auraient également leur place dans la communication pour adresser les bons messages, précis, aux habitants.

« Si chacun donne son message, on va créer de la confusion. Il faut une meilleure coordination. Et ça, cela nécessite un travail collectif permanent, une culture de la sécurité, une culture du risque, avec toutes les parties prenantes, l’industriel, les autorités, les services de secours, les élus locaux et bien évidemment les services de la préfecture… On n’y est pas encore, on a du travail. » commente Alban Bruneau, d’AMARIS. « L’Etat a un rôle éminemment essentiel avec les élus locaux, qui sont plus proches des populations, pour essayer de trouver le message et le vecteur le plus idoine en cas de crise » poursuit Yves Hocde, du ministère de l’Intérieur.

La loi oblige toute commune qui a un risque identifié sur son territoire – naturel ou industriel – à avoir un plan communal de sauvegarde (PCS). Aujourd’hui, 12 635 communes ont l’obligation d’avoir un PCS, mais dans les faits 9800 communes en sont pourvues. Presqu’un quart des communes n’ont donc pas de PCS, surtout des petites communes, faute de moyens – en ressources, en temps - par exemple pour réaliser les travaux d'étude préalable à la connaissance du risque, la matérialisation, la préparation du plan. Actuellement, l’Etat s'engage à accompagner les élus de ces communes pour qu’elles se dotent d’un PCS, de ressources identifiées… et si les moyens ne sont pas disponibles au niveau communal, la solidarité intercommunale doit intervenir.

Table ronde Alerte des populations et gestion de crise - Forum de la résilience, le 4 octobre à Métropole Rouen Normandie Table ronde Alerte des populations et gestion de crise - Forum de la résilience, le 4 octobre à Métropole Rouen Normandie

 

Les réseaux sociaux : prévenir et prendre le pouls de la population

Les réseaux sociaux sont devenus un vecteur incontournable d’information et apportent dans leur sillage des données en temps réel, opinions en tout genre voire fake news… S’il faut se méfier du brouhaha qu’ils génèrent, les réseaux sociaux sont aussi un formidable atout pour communiquer et prendre le pouls des questions que se posent les citoyens en cas d’accident. Preuve en est avec Visov - Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel -que vous pouvez retrouver sur Twitter, Facebook et Instagram.

Visov est une association d’une centaine de bénévoles qui mènent une veille active sur les événements, qu’ils soient naturels ou industriels, et :

  • diffuse des messages de prévention. Bien en amont de l’époque de la saison des feux de forêts par exemple, Visov rappelle les risques, l’importance de ne pas jeter son mégot…
  • porte assistance à la population à l’approche d’une crise, en rappelant et détaillant les consignes de sécurité,
  • soutient les gestionnaires de crise, comme les préfectures ou les services départementaux d'incendie et de secours. En tant que tiers de confiance, Visov fait remonter les questions que se posent les citoyens, alertent si les messages semblent incompris ou pas assez précis.

Prenons un cas d’école : lors des événements météo d’octobre 2021, la préfecture des Bouches-du-Rhône a posté un premier message d’alerte formaté, avec le visuel standard. Très vite, sur leurs comptes Facebook et Twitter, les citoyens ont posé des questions, souvent les mêmes, au sujet des écoles par exemple. Il est alors important d’examiner les questions posées pour pouvoir apporter des réponses pertinentes… sinon, les réseaux s’emballent.

Exemples de questions posées par les citoyens sur Twitter Exemples de questions posées par les citoyens sur Twitter

 

 

Ce que les réseaux sociaux peuvent apporter, c’est une dynamique d’échange, un dialogue, où on va affiner le message et aller au plus près des préoccupations des citoyens. On essaie d’œuvrer en ce sens.

Eric Collard, président de Visov.

 

Le citoyen : question de confiance, d’information, de comportement

Deux éléments sont sans appel :

  • Selon le baromètre de l’IRSN, on observe un défaut de confiance des citoyens envers les industries à risque mais également envers les pouvoirs publics, les journalistes…
  • D’après la Commission d'enquête du Sénat suite à l'accident de Lubrizol, aujourd’hui, 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques. Et 10 % à peine affirment savoir comment réagir si un accident se produisait près de chez eux.

Or le citoyen, les citoyens dans toute leur diversité – âge, sexe, statut social, lieu géographique, porteur de handicap – sont bien in fine les destinataires des messages d’alerte. Ceux qu’on souhaite protéger, mettre en sécurité, ceux qui doivent avoir le bon comportement au bon moment… Alors comment faire ? Plusieurs pistes se dessinent : travailler avec les élus locaux, qui connaissent bien leurs habitants, être à l’écoute des citoyens, via des réunions mais aussi les réseaux sociaux, proposer des alertes multi-canal pour toucher le plus de monde possible, là où chacun est… Avec un point commun : s’intéresser avant tout aux destinataires, pour qu’ils aient les moyens de devenir acteurs de leur sécurité.

On a un enjeu essentiel, celui de la parole crédible, audible, et qui permette de toucher vraiment la personne en situation de crise, au plus direct .

Yves Hocde, ministère de l’Intérieur

 

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