Perception des risques et nouveaux modes de mobilisation citoyenne : l’exemple des « polluants éternels » à Pierre-Bénite

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Vue de Pierre Bénite et de sa zone industrielle Vue de Pierre Bénite et de sa zone industrielle

Dans les zones où industries et habitants coexistent, les risques sont une préoccupation majeure. À Pierre-Bénite, près de Lyon, la pollution due aux PFAS ou « polluants éternels », soulève des défis pour les industriels, les autorités locales et les citoyens. Pour explorer ces enjeux, nous avons rencontré Thierry Mounib, président de l’association « Bien vivre à Pierre- Bénite », engagée dans la défense du cadre de vie face à la pollution.


Pourriez vous nous présenter l’association « Bien vivre à Pierre- Bénite » et ses principales missions ?

Thierry Mounib : L’association, que je préside depuis 2022, œuvre pour protéger le cadre de vie à Pierre-Bénite. Nous informons les citoyens sur les risques de la pollution industrielle, très présente dans notre commune, et visons à défendre la santé publique et notre environnement.


Comment avez-vous découvert cette pollution à Pierre-Bénite ?

Thierry Mounib : En 2021, un journaliste de France 2 m’a contacté au sujet des PFAS, présents à Pierre-Bénite. Les usines Arkema et Daikin, situées ici, sont suspectées d’être des sources majeures de ces rejets toxiques. Les prélèvements effectués par les journalistes et un laboratoire néerlandais ont montré des niveaux de pollution 90 fois supérieurs aux normes européennes. Les autorités ont initialement rejeté ces résultats et commandé des contre-expertises, qui, bien qu’elles aient critiqué la méthodologie, ont confirmé une pollution élevée, entraînant des mesures de précaution comme l’interdiction temporaire d’utiliser l’eau potable et de consommer des produits agricoles locaux.


Quelle est la perception des riverains de Pierre-Bénite concernant le risque santé-environnement ?

Thierry Mounib : L’industrie chimique fait partie de l’histoire de Pierre-Bénite, créant une relation complexe avec les habitants. Certains voient le risque industriel comme une fatalité, notamment les plus âgés qui doutent de l’impact de notre mobilisation. Les jeunes sont aussi difficiles à mobiliser, surtout ceux qui vivent loin des usines et ne perçoivent pas directement la menace. Le quartier à proximité immédiate du site industriel est marqué par la pauvreté et un taux de chômage de 20 %. Les habitants ont malheureusement d’autres préoccupations que la pollution.


Comment l’association « Bien vivre à Pierre- Bénite » mobilise-t-elle les citoyens face aux risques industriels ?

Thierry Mounib : Notre association joue un rôle crucial dans la mobilisation des citoyens de la commune. La découverte des niveaux alarmants de PFAS a galvanisé l’action collective, mais elle a aussi révélé les complexités inhérentes à la mobilisation. Un tournant important a été l’organisation de prélèvements sanguins sur un échantillon de la population locale, en collaboration avec une autre équipe de journalistes. Les résultats ont montré une omniprésence des polluants dans les organismes, y compris chez les plus jeunes. Ces analyses ont sensibilisé davantage la population, renforcé l’écho médiatique et établi la légitimité de notre action vis-à-vis des industriels et des autorités.


Comment se déroule le dialogue avec les autorités et les industriels ?

Thierry Mounib : Le dialogue avec les autorités locales et les industriels est pour le moins compliqué, voire complètement inexistant. Il est souvent marqué par des tensions et des incompréhensions. Malheureusement, il n’existe pas de véritable espace commun où nous pourrions aborder la question des PFAS. Lors d’une réunion de la commission de suivi de site (CSS), la question de l’autocontrôle des entreprises a été soulevée. En mai 2023, une fuite de gaz toxique a été signalée. Bien que cet incident ait été déclaré sans danger immédiat par les autorités et les industriels, les analyses ultérieures ont révélé que les informations initiales sur la dangerosité des émissions étaient erronées. Il est compliqué pour nous de faire confiance sur ces sujets quand très visiblement des mensonges sont prononcés. 


Quel rôle les médias jouent-ils dans la mise en lumière des risques ?

Thierry Mounib : Les médias ont joué un rôle de déclencheur et de catalyseur dans notre action. Leur travail d’investigation a permis de sensibiliser le public et de donner une visibilité accrue à ce sujet. Le fait de révéler l’ampleur des rejets polluants des industriels locaux au grand public a été crucial pour faire comprendre l’impact de ces substances sur la santé publique. Ils nous ont accompagnés et permis de trouver une légitimité dans le lancement des premières actions en justice.


UN APPEL AU DIALOGUE ET À LA COOPÉRATION

 

La situation à Pierre-Bénite illustre les défis complexes auxquels sont confrontées les communautés locales dans les régions industrielles. Les problématiques de pollutions et plus largement de risque santé-environnement mettent en lumière la nécessité d’un dialogue ouvert et transparent entre toutes les parties prenantes – citoyens, industriels, autorités locales et médias.

Il semble alors fondamental d’arriver à établir un climat de confiance et de collaboration entre toutes les parties. La complexité des enjeux environnementaux et sanitaires exige que chacun prenne ses responsabilités et participe activement à la recherche de solutions durables. Ce processus doit inclure une communication claire et honnête, ainsi qu’une volonté de comprendre et de considérer les perspectives de toutes les parties concernées.

La mobilisation citoyenne à Pierre-Bénite démontre un réel engagement local et un attachement à la préservation du cadre de vie des riverains sur les territoires. Cependant, pour parvenir à un équilibre et à une cohabitation apaisée, il est essentiel que les industriels et les autorités reconnaissent le rôle crucial des citoyens en tant que partenaires à part entière. L’adoption d’une approche participative et collaborative semble être une clé pour assurer de bonnes relations à long terme avec les populations, dans une logique de préservation du territoire et de l’environnement.

Le rôle et la posture des différents acteurs est complexe, d‘autant plus dans un monde où les outils de mesure, canaux de communication et possibilité de mobilisation sont largement ouverts et accessibles. Les citoyens s’en saisissent, en autonomie et en dehors des cadres habituels, sans attendre ni les industriels ni les pouvoirs publics. Cette situation rappelle alors que la transparence devient une nécessité, le dialogue et la prise en compte de toutes les voix des fondamentaux, pour établir une collaboration efficace et apaisée entre les différents acteurs, loin de toute défiance. 



 



 

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