« Les comportements en temps de crise dépendent de la lente construction des liens en temps de paix »
Tribune d’Ivan Boissières parue dans le supplément « Forum de la résilience » du quotidien Le Monde, le 4 octobre 2021.
« Aujourd’hui, 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques et 10 % à peine affirment savoir comment réagir si un accident se produisait près de chez eux ! ». Voilà ce que nous révélait, en juin 2020, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’accident de l’usine de Lubrizol.
Mais que s’est-il passé depuis l’accident d’AZF, en 2001, à l’origine de nombreux dispositifs réglementaires inscrits dans la loi Bachelot sur la prévention des risques technologiques (2003) ? Des instances de concertation, qui devaient favoriser l’ouverture et le dialogue entre l’industrie et son territoire, avaient alors vu le jour : comités locaux d’information et de concertation (CLIC), puis commissions de suivi de site (CSS), ont pour la plupart eu une activité soutenue lors de la mise en place des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT). Leur objectif était bien de faire de l’information des populations sur les risques majeurs un des piliers des politiques de prévention.
Mais, avec l’accident de Lubrizol, force est de constater un essoufflement de ce volet. Lorsque le risque ne se voit plus – en l’absence d’accident industriel majeur sur le territoire – la mobilisation s'étiole. Et, dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, la réaction des riverains de l’usine Lubrizol – qui ne savaient ou ne comprenaient pas ce qui se jouait sur le site industriel – a révélé un manque criant d’information aux populations.
Concertation citoyenne
En matière de culture de sécurité, les comportements des différents acteurs en temps de crise dépendent de la lente construction des liens « en temps de paix ». Eviter des réactions de panique ne se joue pas entièrement le jour de l’accident, par une communication de crise qui serait adaptée et bien conduite. Cela avait déjà été relevé, après AZF, dans le rapport du débat national sur les risques industriels remis par Philippe Essig au premier ministre en 2002 : « Il faut développer une culture de sécurité qui réponde aux exigences de notre époque. Non pas une culture de la peur ou de l’indifférence, mais une culture de la “connaissance responsable”, qui permette d’accepter les situations réelles dans lesquelles on vit, et “participative” pour fixer les choix d’actions pour l’avenir. »
Les instances de concertation, si elles peuvent et doivent être améliorées dans leur fonctionnement pour mieux inclure l’ensemble des participants, sont utiles. Mais il existe également d’autres initiatives, nationales ou locales, qui ont porté et portent encore leurs fruits. On pense par exemple aux tables rondes du risque industriel organisées à la suite du Grenelle de l’environnement en 2009. Elles ont permis de faire travailler ensemble les associations, les industriels, les syndicats, les élus et l’administration, et ont abouti à un consensus autour de 33 propositions concrètes pour mieux gérer les risques industriels.
D’autres initiatives, à un niveau local, doivent également être valorisées et pourquoi pas dupliquées, comme la conférence riveraine mise en place à Feyzin depuis 2007. Dans cette commune du Grand Lyon, touchée en 1966 par l'explosion de la raffinerie Rhône-Alpes, une étude sociologique avait permis d'identifier les besoins de la population. Le maire, les industriels et les associations locales ont alors décidé de créer une structure avec une représentation dominante des citoyens pour se rencontrer régulièrement et dans la durée. Ce type d'initiative mérite que l’on s’y intéresse, pour proposer de nouvelles modalités de concertation citoyenne.
Ivan Boissières, directeur général Icsi